au temps pour moi ou autant

Au temps pour moi… ou autant pour moi ?

8 mars 2021 - , , ,

La guerre fait rage !

J’entends d’ici les partisans de « autant pour moi » crier parce que j’ai indiqué « la guerre fait rage », et me soupçonner de faire ainsi allusion au monde militaire dans lequel on utilise l’expression « au temps » !

Non, je n’ai pas d’avis partisan, et comment en avoir quand on constate que cette fameuse expression se transforme subtilement, mais radicalement… en six ans ! Incroyable, mais vrai !
Un certain Jacques de Garches a publié, en 1892, une nouvelle plus ou moins militaire dans le journal « La caricature ». Et, dans ce texte, il fait parler un lieutenant qui déclare : « d’ailleurs, au temps pour moi : maladresse ! ».
Jusque-là, tout va bien… oui mais le journal, devenu entre-temps « La petite caricature », publie une seconde fois ce texte, en 1898. Et, là, « au temps » est devenu « autant » !

Avant l’heure, c’est pas l’heure !

Chacun sait que le monde militaire est un monde précis, et lorsqu’il s’agit d’effectuer plusieurs mouvements enchaînés les uns aux autres, il faut suivre un temps tout aussi précis. Le mot « temps » n’est pas utilisé, en l’occurrence, comme une durée, mais comme un moment. D’où, par exemple, l’expression « en deux temps, trois mouvements ».

Sans cette précision dans l’exécution, c’est n’importe quoi ! Ainsi, le maniement du fusil pour sa présentation, qui passe par un moment où les crosses touchent le sol, donne un martèlement bizarre s’il n’est pas parfaitement exécuté, ce qui déclenche automatiquement le cri rageur du sergent : « au temps pour les crosses ».

En faveur de cette interprétation, nous pouvons faire appel à Colette. En effet, dans « La vagabonde », elle écrit, en 1910, « Au temps ! crie Brague. Tu l’encore raté, ton mouvement ! ». Alors… !

De « au temps » à « au temps pour moi »…

Admettons que, effectivement, l’expression indique que les temps n’ont pas été respectés. Il y a donc une erreur dans l’exécution correcte du mouvement. Et, du coup, en reconnaissant que l’on a fait une erreur, quelle qu’elle soit, on en est arrivé à « au temps pour moi ».
Allez, appelons de nouveau la littérature à notre secours, avec Jean-Paul Sartre, qui dans « Le mur » écrit, en 1939, « il avait fait une erreur dans un raisonnement délicat et avait dit gaiement : au temps pour moi ». Alors… !

Et « autant » ?

L’expression a quand même fait de l’usage, puisqu’elle est apparue pour la première fois en 1640, dans « Curiositez françoises pour supplément aux dictionnaires ». Alors… !
Et puis, elle disparaît jusqu’au XXe siècle.
Le célèbre grammairien belge Maurice Grévisse, lui-même, dont le nom propre est devenu un nom commun, s’est demandé si « autant » n’était pas véritablement la forme première, et si « au temps » n’en était pas finalement qu’une forme dégradée ! Et d’autres linguistes tout aussi distingués lui ont emboîté le pas.
Claude Duneton va même encore plus loin en indiquant que l’expression n’est pas utilisée par les militaires, mais qu’il faut l’entendre comme suit « j’ai autant d’erreurs que vous à mon service : autant pour moi ». Nous voilà bien perplexes !

Attention quand même à ne pas confondre avec une expression beaucoup plus familière utilisée, par exemple, dans un café, ou vous direz « autant pour moi » au garçon de café qui vient de prendre la commande de votre ami… ne pas confondre non plus avec « Autant en emporte le vent », mais ça, c’est un autre film !

Alors ?

L’Académie française ne s’est pas prononcée sur l’aspect militaire de « au temps ».
Mais elle recommande néanmoins l’utilisation de « au temps pour moi », accompagnée en cela par le « Petit Robert », et par l’édition 2009 du « correct ».
Quant au Conseil International de la Langue Française, éditant le site « Orthonet », il indique avec diplomatie que les deux orthographes sont désormais acceptables, puisque « autant » ne constitue plus une faute orthographe… aujourd’hui !

N’apprenez pas !

Désolé de m’être un petit peu laissé aller à jouer avec les mots sur ce sujet tout particulièrement grave, sérieux, et compliqué ! Mais bon… j’espère que ce petit jeu vous aura amusé, puisque, s’agissant de fautes d’orthographe, et, d’une façon générale, de règles d’orthographe, de grammaire, ou de conjugaison mon conseil est simple : « N’apprenez pas ! ». Et je m’efforce de le mettre en œuvre au travers de mes petites fables et chansons, puisque je cherche à faire apprendre l’orthographe en s’amusant, et facilement !